Je suis Charlie

Publié le par 安娜

Que faut-il dire aux enfants qui ont ri de la peine des Français au moment de la minute de silence, que faut-il dire aux enfants qui ont dit «  c’est bien fait pour les dessinateurs de Charlie, ils ne devaient pas dessiner « le prophète », ils blasphémaient notre religion, ils insultaient notre religion….. », que faut-il dire aux enfants qui disent « je ne suis pas Charlie , pourquoi pleurer pour des dessinateurs qui ont bien cherché ce qui leur arrive et ne rien dire pour les milliers d’enfants qui meurent en Afrique, en Irak, en Syrie». Oui, les enfants posent des questions bien dérangeantes. Mais nous ne sommes point démunis pour leur répondre et nous devons leur répondre. C’est notre devoir moral, civique, laïque de parent, d’enseignant, d’adulte, de simple individu parmi les milliards qui constituent  l’humanité.

Aux premiers, je dirai que leur rire fut peut-être nerveux, signe d’un malaise né de leur incompréhension. Incompréhension d’une émotion qu’ils voient mais ne partagent pas, qu’ils ne partagent pas parce qu’elle leur est étrangère. Pourquoi ? Parce que dans leur cercle familial on ne lit jamais, sans doute, certains journaux, on reste replié sur soi, sa culture, sa religion. L’entre soi c’est difficile d’en sortir parce que d’une certaine manière c’est protecteur, mais c’est aussi étouffant et parfois tyrannique.  Je leur dirai aussi qu’on peut ne pas être particulièrement sensible à toute cette émotion, mais qu’on se doit de la respecter tout simplement.

Et s’ils me répondent  que les dessinateurs de Charlie n’ont pas respecté leur religion je répondrai qu’ils ne méritaient pas de mourir pour ça tout comme eux-mêmes ne mériteraient  pas de mourir pour ne pas avoir respecté mon chagrin. Vous voyez ainsi que la première chose à retenir c’est qu’il faut en tout prendre l’exacte mesure des actes , qu’il faut savoir prendre du recul,  faire un pas de côté et regarder les choses sous un autre angle.

Aux seconds que vais-je dire ?  Il faudra bien que je leur parle de religion. Les petits ne comprendront peut-être pas encore, mais les collégiens peuvent commencer à réfléchir, quant aux lycéens la question ne devrait pas se poser.

Qu’est-ce qu’une religion ? Et pourquoi la mienne, celle que mes parents m’ont enseignée serait-elle la seule et unique, celle à laquelle il faut adhérer et qui doit s’imposer à tous ? Dès la 6eon apprend que les Grecs, les Romains et même bien avant eux, d’autres peuples, d’autres civilisations honoraient, imploraient d’autres Dieux, qu’ils se pliaient à certains rites, certaines obligations. En 5e on  étudie la naissance et l’histoire des religions monothéistes : le christianisme, le judaïsme et l’islam. On découvre que ces religions ont permis à des sociétés humaines de se structurer et se policer (comme dans l’Antiquité), mais on découvre  aussi comment,  animées d’une volonté expansionniste,  elles ont  émigré depuis leur lieu originel vers l’Afrique, l’Europe, l’Asie.  Alors, on peut commencer à se poser des questions, faire un pas de côté.

Pourquoi la religion ? Pourquoi  les religions ? Je dirai que  les religions répondent à notre angoisse existentielle. Pourquoi  la vie ? Pourquoi la mort ? Qui est à l’origine de la vie ? A quoi servons-nous sur cette terre ? Pourquoi mourir ? Qu’y a-t-il après la mort ?  Toutes ces questions tous les hommes sur notre planète se les ont posées et se les posent toujours. Et comme  les hommes,  s’ils sont tous pareils sont aussi tous différents, les réponses sont,  elles aussi,  différentes.  Mais les différences ne doivent pas nourrir les affrontements.

La religion est une idéologie qui fut  construite par les hommes pour répondre à leur questionnement métaphysique mais  elle fut, hélas,  très  vite utilisée pour les encadrer puis les cadrer et finalement les enfermer et les soumettre. C’est ce que je pense parce que je sui athée, aucune religion ne réussira à apaiser mes angoisses existentielles et je dois vivre ainsi avec cette question sans réponse :

Est- ce que Dieu existe ?

Cependant, je respecte l’acte de foi  du croyant quel qu’il soit et je ne chercherai  pas à lui imposer  mon doute tout comme j’attends de lui qu’il  ne m’impose pas son Dieu en me déniant tout droit à l’expression voire  en me tuant.

La croyance, l’acte de foi est un engagement spirituel, libre, personnel et intime. Nul ne peut l’attaquer. Et les dessinateurs de Charlie Hebdo ne l’ont jamais  attaqué. J’explique.

La nature même du dessin de presse c’est la dérision, la satire, la caricature c’est aussi l’expression  d’un point de vue.  Un dessin de presse n’a jamais été objectif, neutre et il ne le sera jamais.

Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Honoré et - partis avant eux-  Reiser et Gébé (pour ne parler que des dessinateurs) ont toujours brocardé les Institutions politiques, militaires, religieuses, avec une verve, un talent et une absence de tabous qui souvent heurtaient  beaucoup de monde. «  Hara-Kiri »  puis « Charlie Hebdo » n’ont jamais eu beaucoup de lecteurs si on les compare  au « Parisien », au « Monde », au « Figaro ». Mais ils ont toujours dénoncé d’une manière extrême, peut-être mais nécessaire (selon moi),  toutes les violences portées au genre humain au nom d’une idéologie quelle qu’elle soit.

Vous me direz, mais pourquoi attaquent-ils toujours l’Islam, ils blasphèment notre religion, ils nous font du mal. Ce n’est ni  l’Islam ni  les musulmans, ce n’est pas votre religion que les caricaturistes ridiculisent et attaquent. Ils attaquent (avec leur crayon seulement)  ceux qui en son nom  nous privent de liberté et  nous ferment l’accès au  savoir ; ils attaquent ceux qui en son nom  commettent  les crimes les plus impardonnables.

Et maintenant, faites-le ce pas de côté, prenez l’exacte mesure des choses :

 

Un dessin, une caricature du prophète d’un côté,  et de l’autre les massacres perpétrés en Syrie et en Irak par DAESH, ceux commis au Mali par AQMI, au Nigeria par BOKOARAM. Tous ces assassins se réclament du prophète. Comme ceux qui ont assassiné  dix sept personnes dans Paris la semaine dernière dont dix membres de la rédaction de l’hebdomadaire « Charlie Hebdo ».

 Du dessinateur ou des assassins qui déshonore le plus l’Islam et le Prophète ?

Quant aux derniers qui me reprochent mon droit à pleurer  et honorer mes morts au nom de tous les morts innocents du monde entier. Je leur dirai que toutes les victimes innocentes ont droit à la même considération. Et qu’ici, en France, aujourd’hui nous pleurons nos morts,  victimes de tueurs  enrôlés par des idéologues infâmes et sans conscience. Nous honorons ceux qui résistaient pour sauvegarder notre liberté d’expression,  ceux qui avaient pour mission de nous protéger et ceux qui eurent  le malheur de n’avoir pas la même religion que leurs assassins.

 

Publié dans Divers

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