Deux écrivains, deux styles, deux mondes : Pa Kin, Yan Lianke

Publié le par 安娜

poissons-rouges

Le monde des propriétaires terriens, riches et oisifs vivant dans les villes et liant amitié avec les lettrés, rarement riches en cette première moitié du 20e siècle (1937-1945), c'est l'univers précieux et sensible du roman de Pa Kin Le Jardin du Repos. Yan Lianke, dans Servir le Peuple,  dépeint les petits paysans qui, dans les années 50-60, pour sortir de leur condition passent souvent par l'armée, puis le Parti pour obtenir le précieux Hukou qui leur permettra de s'installer en ville avec leur famille et assurer à leurs enfants un autre destin que le leur. Un monde moins raffiné, des personnages rudes et durs, simples, naifs, en apparence du moins, mais dont les sentiments ont le même registre que ceux du Jardin du Repos. Il y a la même violence dans l'attachement du petit Yang pour son père déchu, dans la volonté de ce même père à sombrer dans la déshérence et l'humilitaion jusque la mort, que dans la folle passion qui s'empare des deux jeunes amants de Servir le Peuple. Personnellement, je trouve la chute de Servir le Peuple plus belle, plus tragique en un sens que celle du Jardin du Repos.

"Liu Lian avait disparu.[...] Les jours, les semaines et les mois passèrent. On ne retrouva pas sa trace. Elle avair fondu comme un flocon de neige, emportée par le vent comme l'odeur des fleurs d'osmanthe, ne laissant derrière elle qu'une légère bouffée de son parfum dans le monde où elle avait vécu."

Après vous avoir mis un peu en appétit, il faut que je vous présente chacun des auteurs et romans.
Pa Kin, je l'ai découvert à travers un livre qui regroupait sous le titre Pour un Musée de la Révolurtion culturelle un certain nombre d'essais publiés dans diverses revues entre décembre 1978 et aout 1986. Je l'ai découvert comme un écrivain  qui jouissait en Chine d'une certaine notoriété, après dix années de persécutions "durant la période du despotisme de Lin Biao et de la " bande des quatre" j'ai été spolié de dix années précieuses", il était en 1980, Président de l'Association des écrivains chinois. Voici deux liens qui renvoient à sa biographie : Ba Jin  de Wikipedia et celle de Michel Anthony.
Il est décédé à Shanghai le 17 octobre 2005. Pierre Haski écrivait alors une note sur son blog toujours présente sur la toile.
 J'avais été très émue par son hommage à  Xiao Shan, son épouse.
Quand je suis tombée sur Le Jardin du Repos au hasard de mes pérégrinations livresques je l'ai acheté parce que je voulais le connaître comme romancier. Je n'ai pas été déçue. Je l'ai trouvé chez Robert Laffont, Bibliothèque Pavillons,2005, traduction de Nicolas Chapuis et  Roger Darrobers. Certes l'écriture est un peu vieillie, désuète, précieuse, dirais-je mais en le lisant j'ai pensé à Récits d'une vie fugitive de Chen Fou. Je ne saurai dire pourquoi. Il faudrait que je relise ce beau roman d'un pauvre lettré de la fin du XVIIIe siècle, pour vous en parler un jour. Pour en revenir au roman de Pa Kin, sous une apparence parfois mièvre, il nous fournit une analyse fine de la décomposition et dégénérescence de riches familles chinoises dans la  première partie du 20e siècle. Oisiveté, jeu, femmes instruites, cultivées mais vouées à une existence vaine futile et sans intérêt, pères déchus, fils arogants et ingrats : toute une société régie par les principes d'un néoconfucianisme rigide qui tombe en déchéance. Cependant, il faut bien le reconnaître les personnages manquent d'épaisseur,  hormis Petit Yang et Mme Yao, cette belle, trop belle épouse,  qui ne laisse rien paraître mais tout deviner de ses sentiments.

yan-lianke.jpg Yan Lianke, est un écrivain beaucoup moins policé, il n'a pas la langue dans sa poche et ses premiers écrits se retrouvent sous le couperet de la censure. Ce fut le cas pour Servir le Peuple. Yan Lianke connaît bien l'armée puisque c'est là qu'il a commencé sa vie active, donc la peinture qu'il en donne ici est sans conteste réaliste et peu glorieuse toute réduite qu'elle en est à l'application rigoureuse voire imbécile de tous les slogans, maximes et  classiques de la pensée de Mao. Le livre est donc avant tout satirique et d'un humour ravageur. Les manoeuvres d'approches de la petite épouse du colonel et l'utilisation de la sacro sainte exhortation "Servir le peuple" pour en arriver à ses fins est jubilatoire. Le rôle aphrodisiaque joué par les instruments du culte maoïste : statuette, vases, tableaux etc...a de quoi figer d'effroi et de rage les tenants de la propagande et censure gouvernementale. Toutefois, même si le livre fut interdit en raison du caractère leste des scènes amoureuses (très prudes en regard de ce que nous connaissons ), il ne faudrait pas réduire le roman à cette relation sexuelle attisée par la destruction acharnée de tous les symboles du culte de Mao. Le roman s'attache aussi à nous révéler la vie médiocre des petits paysans manipulés par les petits chefs et acharnés à sortir de leur basse condition, ces jeunes et jolies filles qui sacrifient beauté et jeunesse à leurs ambitions. Ces deux jeunes gens qui n'ont jamais connu l'amour et ne le connaîtront plus vivent une folle passion amoureuse que seul un écrivain comme Yan Lianke pouvait leur offrir.
Il faut le dire les personnages des romans de Yan Lianke sont profondément attachants. et Je vous recommande aussi, vivement, si vous ne l'avez déjà lu, Le Rêve du Village des Ding. Un roman, lui aussi, hélas, victime de la censure. A  propos du Rêve du Village des Ding,  un article de Libération, nous est proposé sur le site des éditions Picquier.




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